Le 25 décembre 2021 marque le 30e anniversaire de la dissolution de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS). Souvent réduite à la seule présidence de Mikhaïl Gorbatchev, elle est en fait le résultat d’un processus de désintégration politique, économique et ethnique interne.

“Le terme ‘chute’ de l’URSS, que nous utilisons très souvent, suscite des interrogations : il donne l’impression de quelque chose d’accidentel, qui se serait produit presque par inadvertance, comme on trébuche, souligne Julie Deschepper, conseillère scientifique au Kunsthistorisches Institut de Florence et professeur associé à l’Université de Bologne. Alors que l’effondrement de l’URSS trouve ses racines dans une multitude de phénomènes, qui s’étalent sur des décennies.

Une crise du socialisme réel
Trente ans plus tard, les historiens continuent d’agoniser sur le début de la fin de l’URSS. Certains avancent même que dès sa naissance, ce projet politique a porté en germe sa propre fin. « Dès la fin des années 1970, et encore plus évidemment dans les années 1980, on sentait que les fondements idéologiques de l’Union soviétique commençaient déjà à s’effriter », rapporte Julie Deschepper. Même dans les hautes sphères de l’État, on se met alors à douter de l’avènement du futur parti communiste, de sa faisabilité comme projet politique – dont le but, schématiquement, serait l’abolition universelle de la propriété privée.

Jusqu’alors, les régimes socialistes mis en place en URSS étaient en effet présentés comme une simple étape vers ce communisme universel. « Mais petit à petit, le discours sur l’accomplissement du communisme évolue, précise le chercheur. La promesse de son avènement imminent disparaît presque du discours politique, qui se concentre donc sur les problèmes du présent. Et le socialisme, perdant de vue son objectif, entre en crise.

Une crise des nationalités
A cette crise politique s’est ajoutée au cours des années 1980 une crise économique, et une crise de la question nationale en URSS, nation fragmentée s’il en est. Une crise qui, se propageant comme une traînée de poudre dans les républiques du Caucase, enflamma successivement la Géorgie en 1978, l’Arménie en 1988 avec la région autonome du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan en 1990, et enfin la Tchétchénie, qui revendiquait son indépendance à la veille de l’éclatement. de l’Union soviétique en 1991.

« Avec ces conflits qui se multiplient aux marges de l’URSS, les réflexions sur la pertinence des frontières se multiplient aussi, relate Julie Deschepper. Toutes ces nations ont été créées pour correspondre à des modèles préétablis. Cependant, l’URSS étant une nation multiethnique, cette situation entraîna inévitablement des conflits difficiles à gérer.

La catastrophe nucléaire de Tchernobyl
Enfin, survient la crise environnementale du siècle : la catastrophe nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986. L’incident jette une lumière crue sur la négligence du système soviétique, dont les faiblesses scientifiques et sécuritaires sont pointées du doigt. Plus profondément, elle remet en cause l’efficacité de l’État à prendre soin de la nature, thème central de la doxa soviétique puisqu’elle est censée refléter l’harmonie des peuples.

La tragédie de Tchernobyl, symbole de la puissance soviétique, remet en cause sa maîtrise du territoire et de la nature, résume Julie Deschepper. Cela provoque donc une crise structurelle.

Gorbatchev, le coup de grâce
Lorsque Mikhaïl Gorbatchev est élu à la tête du Parti soviétique le 11 mars 1985, il est bien conscient de cette effervescence interne, et de l’impasse dans laquelle se trouve le socialisme soviétique. Dans une dernière tentative pour mettre fin à toutes ces crises simultanées, il décide de restructurer le pays dans sa triple dimension politique, économique et sociale.

« Il ne veut pas abandonner le projet communiste, au contraire, explique Julie Deschepper. Gorbatchev veut proposer une autre voie au communisme, en revenant à ses fondements léninistes. Il lance alors ses deux politiques radicales de perestroïka (restructuration) et de glasnost (transparence). Ce faisant, il permet aux citoyens soviétiques de se réapproprier leur territoire et leur histoire, dont la dictature les avait privés. En mettant fin à la censure, Gorbatchev ouvre une brèche dans laquelle s’engouffrent intellectuels et artistes, et permet enfin aux citoyens de reprendre leur place dans la société. « C’est un moment extrêmement fort de l’histoire du pays, résume Julie Deschepper, mais qui conduit à une remise en cause complète du récit soviétique. Et là, tout craque.

Après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, les régimes socialistes se sont effondrés les uns après les autres en Europe de l’Est. Gorbatchev met fin au rêve soviétique le 25 décembre 1991 en annonçant sa démission en direct à la télévision russe.

Mais alors seule l’URSS est morte en tant qu’État souverain, souligne Julie Deschepper : car en tant que culture, elle est encore omniprésente en Russie. “Il existe encore d’innombrables traces matérielles de l’URSS dans toute la Russie”, explique le chercheur, dont le prochain livre portera sur l’histoire de l’héritage soviétique en Russie. L’espace public est saturé d’éléments soviétiques. Il reste plus de 6 000 statues de Lénine en Russie ! Sans oublier les faucilles et les marteaux des édifices publics, les inscriptions sur les plaques d’égout, mais aussi l’architecture, ou encore l’urbanisme… Tout cela est plus ou moins conservé, restauré ou mis en valeur, quand il n’est pas abandonné, transformé ou détruit. Après tout, cela ne fait que 30 ans que l’URSS a cessé d’exister.