Après avoir œuvré au sauvetage de l’industrie automobile américaine, Xavier Mosquet, directeur associé du BCG, s’est vu confié par Emmanuel Macron une mission dédiée aux mobilités.
L’Usine Nouvelle – À l’heure où les ventes de véhicules diesel chutent, quel est l’impact à attendre sur la filière automobile française ?
Xavier Mosquet – Pour les constructeurs, la baisse très rapide des ventes de diesel suppose qu’ils réinvestissent leurs capacités de fabrication de moteurs diesel vers l’essence, pour l’heure la principale solution de substitution. Cela s’effectue à main-d’œuvre à peu près constante, mais il y a un impact sur leurs coûts d’investissement. En revanche, un certain nombre de petits fournisseurs sont positionnés presque exclusivement sur les composants diesel. Parmi eux, une dizaine peut se trouver en situation critique, ce qui correspond, selon les évaluations, à 8 000 à 12 000 emplois en France. Le problème étant que ces acteurs ne sont pas toujours positionnés sur d’autres marchés en croissance, comme les composants de véhicules électriques. Sans compter que l’évolution est rapide. Ce qui ne permet pas toujours d’offrir des solutions de réorganisation et de transition aux entreprises.
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Faut-il s’inquiéter de l’état de la filière automobile française ?
Il faut distinguer, d’une part, l’emploi, et, d’autre part, la santé de nos industriels. Même si l’emploi s’est réduit depuis de nombreuses années en France, l’automobile reste l’un des plus gros secteurs avec 400 000 emplois directs dans l’industrie et 400 000 dans les services. Les sociétés se sont développées en créant du volume et de la croissance au niveau mondial, ce qui a pu générer ce déclin. Mais il ne faut pas regretter cette évolution. Il n’y a pas d’avenir pour les acteurs qui ne sont pas internationaux. En s’adossant à Nissan, Renault fait partie des rares constructeurs à avoir pu s’offrir le luxe de développer avant les autres ses véhicules électriques. Le travail de PSA sur ses gammes et ses marques lui permet d’afficher une trésorerie et une profitabilité presque insolente. C’est la même chose pour les équipementiers comme Valeo, Faurecia, Michelin et Plastic Omnium. Cette bonne santé est fondamentale pour continuer à développer l’implantation industrielle, d’autant que le contexte est plutôt favorable. Beaucoup d’investissements ont été consentis en Europe centrale, les salaires y ont beaucoup augmenté et la raréfaction de la main-d’œuvre est un phénomène réel.
Vous croyez donc à de possibles réindustrialisations ?
Je pense que l’on en est à ce stade. Des implantations à l’international demeurent nécessaires, puisque l’on est sur des métiers sur lesquels il faut s’installer près des marchés. Mais aujourd’hui, compte tenu des éléments évoqués précédemment, la concurrence de l’Europe centrale s’amenuise, et l’on verra un certain nombre de relocalisations. Cela nécessite toutefois un rééquilibrage des règles au sein de l’Europe afin que les pays soient plus égaux sur le plan fiscal notamment. Cela demandera aussi des investissements en automatisation et en digital qu’il faut favoriser.
Cela pourra-t-il compenser l’arrivée du véhicule électrique ?
Si les véhicules électriques supposent un peu moins d’emplois que les thermiques, cela dépendra aussi beaucoup de la capacité de la France à générer de nouveaux emplois, en particulier dans les batteries. En matière de technologies disponibles et de capacités de production, on ne trouve pour l’instant que des acteurs japonais, coréens et chinois. L’Europe va représenter 25 à 30 % du marché des batteries pour les véhicules électriques dans le monde et 30 à 35 % de son contenu résident dans la batterie. Est-il raisonnable que la France soit absente de ce marché ? La réponse donnée par le gouvernement français est non, d’où les 700 millions d’euros annoncés pour un projet industriel et de recherche destiné à la création d’une filière complète autour de la batterie.
La France, et plus largement l’Europe, n’a-t-elle pourtant pas raté le coche sur les batteries ?
Nous n’avons pas pris la première marche, mais les annonces démontrent que l’Europe souhaite se positionner sur le sujet, ce qui est une bonne nouvelle. D’autant que la France n’est pas seule, puisque l’Allemagne s’est aussi engagée pour présenter un projet commun. Pour avoir échangé avec les constructeurs allemands et français sur ce sujet, il existe un réel intérêt des deux côtés du Rhin pour travailler ensemble sur les batteries. Sans oublier que l’on parle d’une production vers 2022-2023 : nous ne sommes donc pas si en retard. Le marché reste dépendant des subventions, malgré les efforts réalisés en termes de coût. L’électrique démarrera vraiment à partir de 2023 quand il n’aura plus besoin de financements publics et que le prix des batteries sera suffisamment faible pour que le coût de possession d’un véhicule électrique soit proche de celui d’un véhicule thermique.
Pourquoi cette initiative sur les batteries n’a-t-elle pas vu le jour avant ?
L’Europe n’a pas eu de stratégie industrielle, contrairement à la Chine dont le volontarisme a permis l’éclosion de grands champions, qui sont d’ailleurs en train de s’installer en Europe. Grâce aux discussions de ces derniers mois, les positions ont convergé entre les industriels, qui disposent des technologies nécessaires, et les constructeurs, prêts à investir à condition qu’il y ait un marché. Ces derniers, qui souhaitent une technologie européenne, ne veulent toutefois pas dépendre que d’un seul procédé. Les Allemands vont mettre sur la table 1 milliard d’euros, les Français, 700 millions, et les industriels sont en train de constituer un consortium.
Vous avez fait partie de l’équipe mobilisée en 2009 par Barack Obama pour restructurer l’industrie automobile américaine. Quel regard portez-vous sur ces acteurs dix ans plus tard ?
La restructuration de 2009 a consisté à la fois à remettre de l’ordre dans les organisations et faire des véhicules de qualité, sans oublier de nouvelles négociations avec les syndicats. Aujourd’hui, les constructeurs américains ont des produits du même niveau de qualité que la concurrence internationale et sont parmi les plus profitables. Le marché américain est désormais concurrentiel. Les constructeurs ont en revanche plus de difficultés pour percer en Europe, car le marché y est plus difficile, les gros véhicules peu présents. Sans oublier le désavantage du diesel, qui ne représente rien aux États-Unis. À mon avis, ils ont du mal à comprendre comment réussir en Europe. En témoigne la manière dont PSA est en train de remonter la profitabilité d’Opel, ce que General Motors n’a jamais réussi à faire.
Y a-t-il des enseignements à tirer de ce redressement ?
En 2012, lorsque PSA a été en difficulté, le gouvernement français – en montant au capital du constructeur – a joué le rôle que le gouvernement américain avait lui-même tenu face à General Motors et Chrysler en 2009. L’expérience américaine a été un bon exemple. Elle a montré qu’il était raisonnable d’investir et qu’en plus cela marchait. Il est intéressant de voir aujourd’hui la santé de General Motors et Chrysler et celle de PSA. Pour les gouvernements, s’assurer que leurs champions nationaux sont bien gérés, est un facteur clé.