
Au Mexique, les armes fabriquées et vendues par les multinationales européennes sont accusées d’alimenter la spirale de la violence.
“Commerce meurtrier”: le reportage a été publié ce mercredi 9 décembre par des ONG européennes, américaines et israéliennes – en marge d’une enquête sur les cartels de la drogue, menée par le collectif mondial de journalistes d’investigation “Forbidden Stories”.
Pendant 10 mois, les auteurs de ce rapport ont fouillé dans des documents militaires mexicains déclassifiés. Ils ont étudié tous les achats d’armes du pays entre 2006 et 2018. Des milliers et des milliers de pages.
108 000 Beretta
Pendant cette période, les groupes d’armement européens et israéliens ont vendu plus de 238 000 armes à feu au Mexique, dont au moins 108 000 Berettas italiens, 68 000 Glocks autrichiens et 19 000 Heckler & Kochs allemands.
Ces ventes massives à l’armée (seul importateur légal d’armes à feu) posent problème: au Mexique, la violence endémique ne vient pas uniquement des cartels de la drogue, qui détiennent parfois des États entiers. Cela vient aussi de la police et de l’armée, qui sont en proie à la corruption, comme toute une partie de la classe politique.
Nous parlons de l’un des pays au monde où les habitants ont le moins confiance en leur police, régulièrement impliquée dans des assassinats et des violations des droits de l’homme en tout genre.
Un pays où la police vend des armes saisies sur le marché noir aux trafiquants – même à leur propre arsenal.
Un pays où les auteurs et les commanditaires des assassinats ne sont guère inquiets, où plus de 70 000 personnes sont recensées comme «portées disparues», dont les corps n’ont jamais été retrouvés, où les homicides par armes à feu sont chaque année plus nombreux: 24 000 en 2019.
Une surenchère entre la police et les cartels
Depuis le début des années 2000, la police mexicaine est armée jusqu’aux dents: arsenal de gros calibre, fusils d’assaut, lance-grenades … Un surarmement qui conduit en fait à la surenchère.
Même les pays qui vendent relativement peu d’armes à l’Amérique latine, comme le Royaume-Uni, ont vu leurs exportations vers le Mexique augmenter au cours des quinze dernières années. Le rapport montre que malgré ce contexte, les multinationales européennes accordent peu d’attention à la destination finale de leurs marchandises.
Certains ne signent pas toujours ce qu’on appelle «le certificat d’utilisation finale». Un document juridiquement contraignant qui oblige le vendeur à préciser à qui sa marchandise est destinée.
Pendant six ans, la société italienne Beretta, par exemple, n’a produit aucun certificat, tandis que l’armée mexicaine a vendu au moins 28000 pistolets de la marque
Entre 2008 et 2018, près d’une arme sur 5 vendue par des Européens au Mexique n’a fait l’objet d’aucun certificat: au fond, on sait qu’elle a été vendue mais on ne sait pas où elle s’est retrouvée. chaîne.
Cartels belges et mitraillette
Même les armes vendues légalement à la police risquent d’être détournées vers des réseaux criminels. Dans l’État de Guerrero, tristement célèbre pour sa corruption et ses violations des droits de l’homme, plus d’une arme sur cinq a «disparu» ou a été «volée» à la police.
Résultat: ces armes finissent entre les mains du crime organisé. En juin, un fusil d’assaut de fabrication belge a été retrouvé sur les lieux de la tentative d’assassinat du chef de la police à Mexico. L’année dernière, au moment de la fusillade suite à l’arrestation avortée du fils d’El Chapo, les enquêteurs ont identifié un lance-roquettes fabriqué par une société norvégienne, les pistolets Beretta et Glock (marques italiennes et autrichiennes).
Un témoin donne également l’exemple de la mitrailleuse FN Minimi, fabriquée à l’origine par FN Herstal en Belgique, qui est devenue l’arme de choix des cartels dans l’état de Sinaloa. Entre avril 2015 et avril 2020, le groupe a expédié 54 cargaisons vers le Mexique, pour une valeur totale de près de 41,2 millions d’euros.
Certaines des armes européennes ont également été identifiées dans des cas d’assassinat de journalistes mexicains.
Meilleure coordination des contrôles
Dans un rapport sur la politique commerciale des armes de l’UE publié en septembre 2020, les législateurs ont appelé à une meilleure coordination des contrôles des utilisateurs finaux et après expédition. Aucun résultat à ce stade. D’autant que l’impunité qui règne au Mexique rend pratiquement impossible toute tentative de retracer la trajectoire de ces armes à feu.