1. Une identité culturelle défendue au fil des siècles

Avant de comprendre la culture du Vietnam, il faut commencer par le début, c’est-à-dire par comprendre ce que signifie «Vietnam». Le nom de ce pays est composé de 2 mots : Viet, qui désigne l’ethnie Viet, et Nam, qui signifie Sud. L’ethnie Viet représente 86% de la population de ce pays. Le Vietnam est donc le pays des Viet du Sud. De la même façon, la Yougoslavie est composée de Yougo qui signifie Sud et de Slavie qui désigne les Slaves, ce qui donne les Slaves du Sud. La question qui se pose est : que sont devenus les Viet du Nord ? La réponse est : ils ont disparu! Ou plus exactement, ils sont devenus Chinois. Donc qu’est-ce qu’un Vietnamien?

Selon M. Huu Ngoc – un chercheur culturel très connu au Vietnam, une erreur courante consiste à croire que la culture vietnamienne est un appendice de la culture chinoise, de même que le Vietnam serait un appendice de la Chine. Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il y a là 2 cultures bien distinctes. Par exemple, la culture vietnamienne ancestrale possède un élément en commun avec le Sud de la Chine, le Laos, le Cambodge, la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, etc., c’est-à-dire avec tous les pays subtropicaux d’Asie du Sud-Est, mais pas avec la Chine ancienne du Nord : c’est le tambour en bronze.

“Dans ces régions, la culture du riz en terrain submergé nécessitait beaucoup d’eau et lorsque la pluie ne venait pas, les paysans se servaient de tambours en bronze pour invoquer la clémence du Seigneur de la pluie. La culture traditionnelle chinoise se fonde sur une agriculture de terrain sec, ce qui a impliqué de nombreuses autres différences par la suite. D’ailleurs on dit que la Chine s’est développée autour du fleuve Jaune et le Vietnam autour du fleuve Rouge”, raconte Huu Ngoc.

2. Un rôle important de la langue vietnamienne

Selon Huu Ngoc, la langue joue également un rôle très important dans la constitution de l’identité vietnamienne : “Certes, de 60% à 70% de mots de notre langue proviennent du chinois, mais si nous perdions les 30% de mots vietnamiens qu’il nous reste, nous perdrions l’unicité de notre identité culturelle, et notre culture serait absorbée par la culture chinoise.

Il est arrivé que Hô Chi Minh trouve des expressions vietnamiennes composées de plusieurs mots d’origine chinoise et de changer ces mots par d’autres vietnamiens pour favoriser la pureté et l’originalité de la langue vietnamienne. C’est un peu ce qu’il se passait en France au 16e siècle lorsque la langue française commençait à se développer.” Une langue ancestrale qui a permis de conserver les mythes fondateurs du Vietnam.

Des croyances ont ainsi traversé les âges et perdurent encore aujourd’hui : l’animisme, le culte de la fécondité, de la mort, des ancêtres, la croyance aux génies, etc. Contrairement à celles de la Chine, les divinités vietnamiennes étaient en majorité féminines. Avant l’arrivée des Chinois au 2e siècle av. J.-C., le rôle de la femme était prépondérant au Vietnam. La société était à moitié matriarcale (sous l’autorité de la mère).

Lorsque 2 cultures se rencontrent, une culture dont l’identité est faible peut être entièrement assimilée et remplacée par l’autre. Mais lorsque les identités culturelles sont fortes, il y a un phénomène d’acculturation, c’est-à-dire que les cultures prennent chacune à l’autre ce qui leur semble bon et rejettent ce qui ne leur convient pas. M. Ngoc conclut son propos en disant que c’est de cette façon que la culture vietnamienne a évolué sans jamais perdre ses racines, elles ont puisé à l’extérieur ce qui leur semblait bon.

3. Une présence permanente dans la vie spirituelle

Afin de vous faire découvrir la culture vietnamienne distinctive, cet article vous présente un aspect de ses mœurs et coutumes : le culte des ancêtres et l’enterrement

Le culte des ancêtres

La croyance qui veut que mourir signifierait retourner avec des ancêtres aux Neuf Sources, mais que de là leurs âmes reviendraient en permanence en visite afin de protéger la descendance, est la base du culte des ancêtres. Ce culte est présent chez de nombreux peuples du Sud-Est asiatique et constitue le trait spécifique de cette aire culturelle, mais selon les observations de l’ethnologue, c’est chez les Vietnamiens qu’il est le plus répandu et le plus développé, jusqu’à en devenir presque une religion. Dans son grand œuvre Luc Van Tien, Nguyen Dinh Chieu a écrit:

“Thà đui mà giữ đạo nhà

Còn hơn sáng mắt ông cha không thờ”.

(Il vaut mieux être aveugle et respecter les règles

Que de voir clair et ne pas vénérer ses ancêtres)

A la différence des occidentaux qui font attention à la date de naissance, les Vietnamiens attachent beaucoup d’importance au jour de la mort dans le culte des ancêtres, car c’est le jour où l’homme entre dans l’éternité.

L’autel des ancêtres est toujours placé dans la pièce centrale à l’endroit le plus respectable. D’après la conception vietnamienne, il n’y a pas de différence entre le monde où nous vivons (Yang) et le monde des morts (Yin): on présente donc à l’autel pour des ancêtres des choses parfaitement matérielles: nourritures, vêtements, objets usuels quotidiens et argent (ces derniers en papier, appelés Vang ma – objets votifs).

Seule la nourriture est réelle, et généralement accompagnée de fleurs, d’encens et d’alcool (facultatif) qui doit être de riz. Une chose ne doit pas faire défaut, c’est une tasse d’eau claire: c’est le bien plus précieux du riziculteur après la terre. Après la combustion des baguettes d’encens, on brûle le papier votif et on verse la petite tasse d’alcool ou d’eau sur les braises. C’est ainsi que les morts reçoivent leurs présents dans l’au-delà.

Les flammes et la fumée s’élèvent alors dans le ciel, l’alcool liquide se mélange au feu pour imprégner la terre: devant nos yeux, s’effectue une osmose feu-eau (Yin-Yang) et ciel-terre-eau (“Trois pouvoirs”) chargée de contenu philosophique.

L’enterrement au Vietnam

Une jeune fille, l’aînée des petites filles du mort, porte le portrait du défunt et se positionne en tête du cortège funèbre. À l’avant, les musiciens se mettent aussi en place. À leur suite, vient le géomancien qui guidera tout au long de la marche les porteurs du cercueil. Le bol de riz et l’œuf devront rester à l’horizontale durant tout le voyage, sans cela le géomancien et les porteurs ne seront pas rétribués pour leur peine. Les deux fils cadets du mort ont pris place derrière le cercueil. Enfin, viennent les parents proches, les amis et les voisins de la famille.

Durant la procession, les proches de la famille jettent des rectangles rouges et blancs, quan tai « cercueil », destinés à occuper les mauvais esprits qui, piégés par leur gourmandise, s’attarderont à déguster ces friandises qui ne contiennent que du vide. Tout le monde fait bien attention à ne pas les écraser et l’on peut deviner leur présence par terre en regardant les mouvements d’écarts que font les individus suivant le cercueil. Une jeune femme qui ne porte aucun signe de deuil passe dans le cortège distribuant cigarettes et thé.

Après avoir parcouru une partie du chemin menant au « cimetière », le cortège marque une pause lorsqu’il parvient à une intersection de chemins : les Vietnamiens croient que ces endroits sont fréquentés par des esprits. Durant cette pause, les deux fils cadets ne bougent pas de leur place. Les femmes et les hommes de la famille veillent à ce que de nombreux bâtonnets d’encens restent allumés, de nombreux “mã vàng” sont jetés, des cigarettes, du thé sont offerts. Puis la colonne funèbre repart.

Lorsque la file endeuillée parvient à l’endroit où la bière doit être ensevelie, celle-ci est transportée près de la fosse. Les porteurs s’évertuent à la déposer de façon horizontale mais un faux mouvement fait bouger le cercueil et toute l’assemblée s’émeut. De nombreux bâtonnets sont allumés et les pleurs deviennent plus bruyants et plus aigus. Tout autour de la fosse, les jeunes membres de la famille allument des bâtonnets sur les tombes entourant celle de leur membre défunt afin que les anciens locataires soient bienveillants avec le mort. Les fils cadets sont près de la fosse, accompagnés par la femme du défunt. Le portrait n’est plus tenu par la jeune fille, un jeune homme l’a remplacé et se poste à hauteur de la tête du cercueil : il ne bougera pas de cet endroit jusqu’au départ de la famille.

Lorsque le cercueil est en place, chaque membre de la famille jette une poignée de terre sur le cercueil et l’ensevelissement commence. Des femmes de la famille allument des bâtonnets d’encens sur toutes les tombes à proximité de celle du mort. Lorsque le cercueil n’est plus visible et qu’un monticule a été formé, les couronnes offertes sont disposées sur le tertre et le portrait photo est déposé au pied du cercueil.

Des papiers votifs sont brûlés tout autour du tombeau que la famille entoure ; le frère du défunt remercie l’assistance. Les amis et voisins se retirent et seule la famille reste autour du tombeau. Ils saluent par trois fois le cercueil et souhaitent un bon repos au mort puis, dans un concert de sanglots, la famille fait ses ultimes adieux en faisant le tour du tombeau, de droite à gauche ; les deux fils restent face au cercueil enseveli et partent les derniers. Le jeune homme reprend le portrait photo pour aller le déposer sur l’autel domestique de la maison familiale.

Le retour à la maison se fait sans aucun ordre précis mais personne ne reprendra le chemin emprunté lors du départ. Un rafraîchissement est offert (Tra no miêng : « en remboursement des dettes de la bouche ») à tous les invités alors que la femme et un des fils cadets se rendent auprès de l’autel domestique afin de confirmer la venue du défunt dans l’autre monde et lui souhaiter la bienvenue sur son nouveau support.

Cet enterrement temporaire sera suivi d’un enterrement définitif. Lorsque le géomancien aura décidé d’une date propice, les restes seront déterrés et un autre enterrement aura lieu. Lors de ce nouvel et dernier ensevelissement, une tombe de pierre recouvrira les restes mortuaires. Cette cérémonie se célèbrera avec moins de faste que la première et confirmera le statut du mort comme ancêtre familial.

Les dispositions relatives à l’inhumation des défunts tendent à se modifier parallèlement aux changements sociaux survenant dans le pays. Pour les Vietnamiens vivant en France, ces pratiques ont dû être simplifiées mais elles restent tout de même un point névralgique dans la vie familiale et individuelle de l’ensemble des Vietnamiens.

4. Une existence éternelle dans les boissons traditionnelles

En parlant d’une culture, on ne reste pas seulement dans ses mœurs et coutumes mais il faut également aborder ses boissons traditionnelles.

L’art du thé vietnamien

L’art du thé est difficile, depuis le choix du thé lui-même, sa préparation, l’action de faire bouillir l’eau, de faire l’infusion, de la répartir dans les tasses qui laisse s’échapper tout l’arôme, jusqu’à l’instant où l’on s’assoit et savoure sa quintessence en gestes mesurés, de tous ses sens et de tout son âme.

Depuis des temps reculés, les Vietnamiens savent parfumer le thé avec de nombreuses espèces de fleurs: lotus, jasmin, chloranthus, chrysanthème,….mariant parfum du thé et senteurs florales pour profiter ainsi de toutes les fragrances du ciel et de la terre. Chaque fleur offre au thé son arôme particulier mais la plus originale est le lotus. Sur l’étang aux lotus, le soir, en petite barque, on s’approche des fleurs et on introduit à l’intérieur de chacune d’elles un petit sachet de thé qui s’imprègne de tous les effluves et forces vitales de la fleur.

Puis, le lendemain, aux premières heures, le maître de maison n’a plus qu’à refaire sa tournée en petite barque pour faire sa cueillette. Pour agir sur une plus grande échelle, on cueille les anthères blanches au sommet des étamines, le gạo sen (riz de lotus), qu’on mélange avec le thé. On place le tout dans une enceinte hermétique pendant un ou deux jours, jusqu’au flétrissement du riz de lotus et on parfait le séchage du thé sur un feu très doux.

Un seul kilogramme de thé nécessite une centaine de fleurs, et un travail minutieux de plusieurs jours, ce qui explique son prix et sa valeur: ce produit de luxe n’est employé qu’à de grandes occasions pour marquer l’honneur que font les maîtres du lieu à leurs hôtes.