Une semaine de mobilisation est organisée par des livreurs de la startup de livraison Deliveroo dans toute la France depuis le samedi 3 août. Ils dénoncent le changement de mode de rémunération, notamment la suppression du tarif minimal par course.
Nouvelle gronde des coursiers face à Deliveroo. Une semaine de mobilisation est organisée dans plusieurs grandes villes françaises. La cause : le changement de grille tarifaire pour la rémunération des livreurs. La startup de livraison de repas à domicile a annoncé mardi 30 juillet la baisse de ses rémunérations pour les courses les plus courtes. Cette décision implique la suppression du tarif minimal de 4,70 euros par course — tarif en vigueur à Paris, variable selon les villes.
En contrepartie, Deliveroo a augmenté les tarifs pour les courses “intermédiaires et longues”, supérieures à dix minutes. Ces dernières, jusqu’ici considérées comme peu rentables, étaient davantage délaissées par les livreurs. La jeune pousse prend désormais en compte le temps d’attente des livreurs devant les restaurants. “Le prix proposé aux livreurs tient compte du temps pour se rendre au restaurant, le temps d’attente au restaurant et le temps pour se rendre jusqu’au client”, détaille Deliveroo dans un communiqué de presse.
“À chaque commande, le livreur reçoit sur son téléphone une offre de travail comportant la zone de livraison, l’adresse du restaurant et le prix de la commande. Il a ensuite la possibilité d’accepter ou de rejeter la commande.”
“Par heure, les livreurs perdent entre 20 à 30% de rémunération”
Pour dénoncer ce changement unilatéral de rémunération, des livreurs de la plateforme se sont réunis samedi 3 août à Paris et dans plusieurs grandes villes françaises (Nantes, Nice, Toulouse, Besançon, Tours) à l’initiative du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap 75). Mercredi 7 août, le Collectif a appelé les livreurs à débrayer entre midi et 15 heures en refusant de prendre des commandes. Ils ont également incité les clients à ne pas commander sur la plateforme. La mobilisation doit se poursuivre ce week-end.
“En supprimant la rémunération minimum par course, les livreurs se voient proposer des courses courtes à 2,70 euros. Concernant les courses longues, nous avons observé une hausse vraiment minime, entre 20 à 30 centimes par livraison”, déplore Jean-Daniel Zamor, président de Clap 75. “Par heure, les livreurs peuvent perdre entre 20 à 30% de rémunération à cause de ce nouveau mode de calcul.”
Le Clap 75 souhaite obtenir un retour en arrière, “même temporaire, le temps d’entrer en négociation avec Deliveroo”, explique Jean-Daniel Zamor.
“Chaque été, Deliveroo nous fait le coup”
Des grèves et des mouvements de protestation sont régulièrement organisés par les coursiers des grandes plateformes. Depuis trois étés consécutifs, Deliveroo fait l’objet de tels mouvements suite à ses changements de rémunération. Mais la startup ne flanche pas.
“Chaque été, Deliveroo nous fait le coup. C’est plus simple pour eux, car il y a beaucoup moins de livreurs, moins de clients et moins de restaurants ouverts”, estime le président du Clap 75.
Il est aussi compliqué de mobiliser pour s’imposer face à ces grandes plateformes.
“Les startups disposent de grandes flottes et le turn-over des livreurs est très important. En moyenne, chez UberEats, le turn-over est de 3 à 6 mois pour un coursier. Les derniers venus sont toujours prêts à accepter moins que les anciens, donc c’est difficile de mobiliser dans ces conditions-là”, analyse Jean-Daniel Zamor.
Comme il est d’usage pour les plateformes de l’économie dite “collaborative”, les livreurs sont contraints de recourir au statut d’auto-entrepreneur — et donc, de se voir imposer des changements unilatéraux de rémunération. Les startups de livraison sont régulièrement accusées de recourir à du salariat déguisé. Selon leur argumentaire, le statut d’auto-entrepreneur donne davantage de flexibilité aux livreurs en leur fournissant un complément de revenu, et non un salaire.
“La majorité (des livreurs) sont des étudiants et 70% ont moins de 26 ans. Ils travaillent en moyenne 15 heures par semaine et gagnent 13 euros par heure de connexion à l’application, soit 30% de plus que le SMIC brut horaire”, se défend Deliveroo dans un communiqué de presse.
Imposer le statut d’auto-entrepreneur leur permet de ne pas avoir à payer les congés payés, les arrêts maladie ou encore de ne pas garantir de salaire minimum… Tout en imposant certaines conditions pour l’exercice de leur travail, comme une disponibilité minimum sous peine d’encourir des pénalités.
Une protestation non représentative, selon Deliveroo
Deliveroo est l’un des acteurs de la livraison à domicile en France. La startup britannique est présente dans 200 villes et travaille avec 10.000 restaurants et 11.000 livreurs.
“En un an, Deliveroo a multiplié par deux le nombre de livreurs partenaires. Par ailleurs, 4.000 livreurs demandent chaque semaine à rejoindre la flotte Deliveroo”, affirme la jeune pousse dans son communiqué de presse, en estimant que le mouvement de protestation n’est pas représentatif.
Selon elle, la protestation rassemble “un faible nombre d’activistes” qui représente “moins de 1% de l’ensemble de la flotte”.
Depuis sa création à Londres en 2013, la jeune pousse a levé un total de 1,53 milliard de dollars. Elle a notamment levé 575 millions de dollars auprès du géant Amazon en mai dernier, lors de son dernier tour de table. La plateforme est désormais valorisée 2 milliards de dollars.
Le guide de Deliveroo pour déjouer les accusations de salariat déguisé
Deliveroo est régulièrement accusé de salariat déguisé en recourant à des coursiers à vélo avec le statut d’auto-entrepreneur. Pour contourner cette appellation, la société de livraisons de repas distribue en interne un guide à ses employés britanniques avec des éléments de langage à utiliser.
Les coursiers à vélo ne travaillent pas “pour” Deliveroo, mais “avec” Deliveroo. Au sein de la société anglaise de livraisons de repas, l’expression “bulletin de paie” est bannie au profit des “factures” à destination des livreurs ayant le statut auto-entrepreneur. Si le port d’une tenue à l’effigie de Deliveroo est obligatoire, l’entreprise parle “de kit” ou “d’équipement” mais surtout pas “d’uniforme”. Et la liste est longue.
Deliveroo distribue en interne un document de six pages alignant les éléments de langage très précis de l’entreprise pour contourner les accusations de salariat déguisé, d’après une enquête du Guardian et du Financial Times. Le document est séparé en deux parties, avec les expressions utilisables et les tournures de phrases interdites.
“Nous avons près de 1.000 employés à temps plein et travaillons avec plus de 15.000 coursiers au Royaume-Uni, assure au Financial Times un porte-parole de Deliveroo. Nous veillons à ce que les employés sachent comment travailler avec nos partenaires, ce qui inclut la formation et les lignes directrices à suivre pour discuter avec les clients, les restaurants et bien sûr les livreurs indépendants.”
Imposer le statut d’auto-entrepreneur à ses coursiers permet à Deliveroo de ne pas avoir à payer les congés payés, les arrêts maladie ou encore de ne pas garantir de salaire minimum (de 7,20 livres de l’heure en Grande-Bretagne, soit environ 8 euros). Fondé en 2013, le service de livraison est présent dans 140 villes et 12 pays, dont la France, et permet de recevoir à domicile des plats préparés dans des restaurants.
“Les pratiques d’emploi de Deliveroo sont une charade”
Les conditions de travail chez Deliveroo provoquent la colère de certains de ses coursiers. Une grève a été lancée en août à Londres. Imitant des chauffeurs Uber ayant obtenu la condamnation de l’application VTC, 20 livreurs britanniques ont lancé une action en justice fin mars pour obtenir une requalification de leur contrat en salarié. Le syndicat britannique des travailleurs indépendants (Independent Workers Union of Great Britain, IWGB) est l’interlocuteur entre les coursiers de Camden, un quartier du nord de Londres, et Deliveroo. Il porte l’affaire devant le Central Arbitration Committee de Londres, une instance de régulation rattachée au gouvernement britannique qui se penchera sur l’affaire fin mai, précise le IWGB dans un communiqué.
“Ce document est une preuve supplémentaire […]. Les pratiques d’emploi de Deliveroo sont une charade, assure au Guardian Jason Moyer-Lee, secrétaire général de IWGB. [L’entreprise] a même jugé nécessaire de créer un tout nouveau vocabulaire pour cacher ce qui est manifestement évident pour tout observateur objectif.”
Le co-fondateur de l’entreprise, William Shu en appelle au gouvernement pour “adopter une législation du XXIe siècle, qui colle avec l’économie du XXIe siècle et ce que les gens du XXIe siècle veulent”, explique-t-il dans une interview à BuzzFeed News. S’il dit que l’entreprise “aimerait offrir plus de droits et de sécurité” à ses coursiers, cela se fera au détriment de la “flexibilité” actuelle.