Les moyennes horaires des derniers Tours de France étaient plus rapides que celles des éditions marquées par un dopage de masse à la fin des années 1990.
C’est une équation difficile à résoudre. Les résultats des contrôles et les dires des spécialistes semblent confirmer que le dopage a diminué dans le peloton du Tour de France, mais les coureurs roulent toujours aussi vite.
Ces dernières années, les radars enregistrent des vitesses moyennes horaires très élevées. En 2017, le gagnant Chris Froome avait parcouru les 3.540 kilomètres de la Grande Boucle à une moyenne de 40,996 km/h –un record absolu en dehors de la période Armstrong, qui a été officiellement effacée des tablettes du Tour.
En 2018, Geraint Thomas, coéquipier de Froome au sein de l’équipe Ineos (ex-Sky), avait quant à lui bouclé les 3.351 kilomètres à une vitesse de 40,234 km/h.
Ces allures sont plus rapides que celles enregistrées à la fin des années 1990, à la grande époque du dopage de masse et de l’EPO, un produit dopant connu pour booster les performances des athlètes en augmentant leur nombre de globules rouges, responsables du transport de l’oxygène dans le sang.
Marco Pantani, vainqueur en 1998 en pleine affaire Festina et plusieurs fois contrôlé positif à des produits dopants, avait terminé le Tour de France du scandale à une moyenne de 39,983 km/h.
Since 1968, 35,2% of participants to Tour have been involved in doping scandals https://t.co/2wh41CvRp3 #TDF2019 #TDF19 #doping pic.twitter.com/zDU69tbofR
— cyclisme-dopage.com (@cyclismedopage) July 16, 2019
Vous voyez où est le problème? Si l’on part du postulat que les derniers vainqueurs du Tour sont propres, comment font-ils pour rouler plus vite que leurs dopés de prédécesseurs?
Entraînement scientifique
Frédéric Grappe est directeur de la performance chez Groupama-FDJ, la meilleure équipe française du moment, dont le leader Thibaut Pinot est actuellement à la bataille pour terminer sur le podium du Tour de France 2019. Pour élucider l’apparent paradoxe, il met en avant les progrès en matière d’entraînement des cyclistes.
«Historiquement, jusqu’en 1998 et l’affaire Festina, il ne se passait rien sur le plan de l’entraînement dans le cyclisme, relève celui qui est également chercheur en sciences du sport à l’université de Besançon. Mais à partir de cette date, beaucoup d’équipes se sont mises à travailler de manière plus scientifique. Le cyclisme est devenu un sport où l’on arrive à mesurer énormément de paramètres avec des données en temps réel, ce que de nombreux autres sports ne peuvent pas faire pour des questions pratiques. L’entraînement des coureurs a pu être individualisé et optimisé.»
En plus de l’entraînement, d’autres facteurs ont participé à la progression des cyclistes. Le matériel a connu de nombreuses évolutions, avec des vélos toujours plus aérodynamiques et ergonomiques. On se souvient du débat autour du pédalier oblique utilisé par l’équipe Sky de Chris Froome lors du Tour 2015 et du gain de performance éventuel qui en découlait.
«Il y aura toujours à gratter dans le matériel, dans la physiologie. On tend vers des limites de performance, même si l’on arrive encore à grignoter grâce à des outils qui permettent d’enregistrer de nouvelles données», poursuit Frédéric Grappe.
Les résultats de l’équipe Groupama-FDJ lors de la très spécifique épreuve du contre-la-montre par équipe montre qu’avec beaucoup de recherche scientifique et de travail sur le long terme, les efforts payent. Cette année, lors de la deuxième étape dans les rues de Bruxelles, les coureurs français ont arraché la huitième place, à une trentaine de secondes des meilleures équipes dans cette discipline –une progression notable.
«C’est un travail de dix ans pour en arriver là. Nos coureurs ont leur propre vélo de contre-la-montre chez eux, pour l’utiliser plusieurs fois dans la semaine. On a aussi réalisé des études sur la position à tenir sur le vélo pour chaque coureur», glisse le directeur de la performance de l’équipe.
Détection des records suspicieux
Certains records ne peuvent cependant pas être battus sans que des soupçons de dopage ne viennent s’immiscer dans les esprits.
Si la vitesse moyenne horaire de l’ensemble d’un Tour de France dépend de nombreux critères, comme les conditions atmosphériques, le vent, le profil du parcours (plus ou moins de montagne) ou l’état du revêtement des routes, il existe des sections chronométrées qui fournissent des renseignements précis sur le niveau réel des coureurs: les cols.
En 2013, Chris Froome avait battu le record de l’ascension du mont Ventoux sur une étape en ligne (hors contre-la-montre), avec un temps de 57 minutes et 30 secondes pour gravir à la force de ses mollets les 22 kilomètres à 7,5% de pente moyenne, effaçant de l’ardoise les références de nombreux grimpeurs boostés à des produits dopants.
La performance avait jeté le doute sur la probité du champion britannique. En direct sur France Télévisions, le consultant et ancien cycliste professionnel Cédric Vasseur avait commenté: «Regardez cette attaque de Froome assis sur la selle, c’est incroyable d’attaquer dans le Ventoux comme ça. C’est surréaliste!»
Ancien entraîneur de l’équipe Festina, Antoine Vayer est désormais spécialiste de la mesure des watts produits par les cyclistes lors de leurs efforts en montée.
Devenu l’un des plus fervents pourfendeurs du dopage dans le cyclisme, il relève chaque année les temps d’ascension des meilleurs coureurs dans les cols du Tour de France, pour déterminer si ces performances sont humainement crédibles.
Sa méthode de calcul, créée en 2000 avec Frédéric Portoleau, ingénieur en mécanique des fluides, a fait ses preuves. «Le jour où le temps de Marco Pantani pour l’ascension de l’Alpe d’Huez sera battu, ce sera le signe d’une pratique dopante», prévient Antoine Vayer.
L’ancien membre du staff de Festina note que contrairement au début des années 2010, plus aucun coureur ne dépasse aujourd’hui «le stade que l’on nomme mutant, c’est-à-dire une performance physiologique impossible».
«Il y a toujours des coureurs qui se dopent, car ce n’est pas noir ou blanc, mais cela est moins caricatural que dans le passé, c’est vrai, ajoute-t-il. Il y a cependant quelques équipes qui sont nettement supérieures aux autres, et cela est intriguant. On enregistre aussi toujours des performances suspectes de la part de coureurs dans certains cols.»
Les moteurs font peser une nouvelle menace sur la compétition, déjà hantée par le dopage. Après avoir tergiversé, l’Union cycliste internationale présente cette semaine ses nouvelles orientations pour lutter contre ces tricheurs. Il reste à voir si les autorités du cyclisme peuvent éloigner le doute.
René Descartes doutait de tout, c’est ainsi qu’il a établi son célèbre “ergo sum”. L’amateur de cyclisme aussi est poussé au doute permanent, au point parfois de se demander s’il ne vaudrait pas mieux abandonner la Petite Reine à ses tourments. C’est aussi comme ça qu’il se révèle véritablement passionné : malgré le dopage et la triche, les palmarès révisés et même amputés, les petites et grandes polémiques, l’amoureux de bicyclette ne se détourne pas. Il reste fidèle à ce sport, cruel, parfois franchement dégueulasse, mais si profondément humain (et donc d’une beauté unique). Jusqu’au jour où la coupe devient pleine, remplie cette fois par des moteurs très discrets mais trop encombrants ?
Le problème du dernier vice trouvé aux forçats de la route, c’est qu’il ôte une part de cette humanité aux forçats de la route. Un moteur dans le vélo ? Une force mécanique pour se substituer à la force du jarret, ce jarret fût-il irrigué par des additifs chimiques ? Assassins ! À en entendre certains, le dopage dit mécanique (je préfère parler simplement de “triche”, ou “fraude”, laissons aux dopeurs ce qui appartient aux dopeurs) serait pire encore que le bon vieux dopage biochimique.
Les Cassandre du vélo nous le répètent depuis quelques années et l’émergence de cette problématique : le jour où “ça” sortira vraiment, où l’on comprendra à quel point les moteurs ont faussé la course, les squelettes ainsi déterrés hanteront le cyclisme pour toujours. Plus encore que lorsque les Guignols ressuscitait Fausto Coppi pour lui faire tirer une caravane dans l’ascension du Tourmalet.
Une lutte anti-triche mécanique ? Quelle lutte ?
Ces Cassandre m’excuseront, mais elles ne savent pas plus que moi à quel point les moteurs à vélo sont répandus dans les pelotons (certainement plus que ce que les contrôles ont montré). Et j’ai du mal à établir une hiérarchie de la triche (ce sont souvent les mêmes qui, tout en vilipendant la génération EPO, viennent minimiser le “dopage à la papa” qui avait cours auparavant). Qu’on parle de “vitamines”, du vieil “Edgar” (le surnom de l’EPO dans les pelotons des années 90) ou d’un moteur, le résultat est le même pour l’athlète honnête : il se fait salement avoir.
Sur le dopage au moins, je sais à quoi m’en tenir. Les autorités du cyclisme, accompagnées par l’Agence mondiale antidopage et les nombreux acteurs de cette lutte, ont largement progressé ces dernières années pour limiter l’influence des tricheurs mais il reste des failles à exploiter (et elles le sont).
Les vélos à moteur, eux, reviennent régulièrement dans le débat depuis le Tour des Flandres du soupçon écrasé par Fabian Cancellara en 2010. La réponse s’est incarnée dans les tablettes magnétiques que les commissaires agitent autour des montures des concurrents… Même les principaux intéressés ne sont pas convaincus : “Si on veut vraiment trouver les moteurs, on peut : il faut simplement ne pas avoir peur de tout inspecter et démonter à l’arrivée”, tranchait récemment un de ces commissaires de l’UCI lors d’une conversation avec d’anciens coureurs convaincus que les vélos à moteur ont bien pénétré les pelotons.
UCI – Dopage mécanique : Montrez ces moteurs que nous ne saurions voir
Par Benoît Vittek
Le 19/03/2018 à 23:11Mis à jour Le 20/03/2018 à 21:15
Les moteurs font peser une nouvelle menace sur la compétition, déjà hantée par le dopage. Après avoir tergiversé, l’Union cycliste internationale présente cette semaine ses nouvelles orientations pour lutter contre ces tricheurs. Il reste à voir si les autorités du cyclisme peuvent éloigner le doute.
René Descartes doutait de tout, c’est ainsi qu’il a établi son célèbre “ergo sum”. L’amateur de cyclisme aussi est poussé au doute permanent, au point parfois de se demander s’il ne vaudrait pas mieux abandonner la Petite Reine à ses tourments. C’est aussi comme ça qu’il se révèle véritablement passionné : malgré le dopage et la triche, les palmarès révisés et même amputés, les petites et grandes polémiques, l’amoureux de bicyclette ne se détourne pas. Il reste fidèle à ce sport, cruel, parfois franchement dégueulasse, mais si profondément humain (et donc d’une beauté unique). Jusqu’au jour où la coupe devient pleine, remplie cette fois par des moteurs très discrets mais trop encombrants ?
Le problème du dernier vice trouvé aux forçats de la route, c’est qu’il ôte une part de cette humanité aux forçats de la route. Un moteur dans le vélo ? Une force mécanique pour se substituer à la force du jarret, ce jarret fût-il irrigué par des additifs chimiques ? Assassins ! À en entendre certains, le dopage dit mécanique (je préfère parler simplement de “triche”, ou “fraude”, laissons aux dopeurs ce qui appartient aux dopeurs) serait pire encore que le bon vieux dopage biochimique.
Les Cassandre du vélo nous le répètent depuis quelques années et l’émergence de cette problématique : le jour où “ça” sortira vraiment, où l’on comprendra à quel point les moteurs ont faussé la course, les squelettes ainsi déterrés hanteront le cyclisme pour toujours. Plus encore que lorsque les Guignols ressuscitait Fausto Coppi pour lui faire tirer une caravane dans l’ascension du Tourmalet.
Un vélo à moteur
Une lutte anti-triche mécanique ? Quelle lutte ?
Ces Cassandre m’excuseront, mais elles ne savent pas plus que moi à quel point les moteurs à vélo sont répandus dans les pelotons (certainement plus que ce que les contrôles ont montré). Et j’ai du mal à établir une hiérarchie de la triche (ce sont souvent les mêmes qui, tout en vilipendant la génération EPO, viennent minimiser le “dopage à la papa” qui avait cours auparavant). Qu’on parle de “vitamines”, du vieil “Edgar” (le surnom de l’EPO dans les pelotons des années 90) ou d’un moteur, le résultat est le même pour l’athlète honnête : il se fait salement avoir.
Sur le dopage au moins, je sais à quoi m’en tenir. Les autorités du cyclisme, accompagnées par l’Agence mondiale antidopage et les nombreux acteurs de cette lutte, ont largement progressé ces dernières années pour limiter l’influence des tricheurs mais il reste des failles à exploiter (et elles le sont).
Les vélos à moteur, eux, reviennent régulièrement dans le débat depuis le Tour des Flandres du soupçon écrasé par Fabian Cancellara en 2010. La réponse s’est incarnée dans les tablettes magnétiques que les commissaires agitent autour des montures des concurrents… Même les principaux intéressés ne sont pas convaincus : “Si on veut vraiment trouver les moteurs, on peut : il faut simplement ne pas avoir peur de tout inspecter et démonter à l’arrivée”, tranchait récemment un de ces commissaires de l’UCI lors d’une conversation avec d’anciens coureurs convaincus que les vélos à moteur ont bien pénétré les pelotons.
“Montrer que l’UCI fait finalement son job”
“Il fallait que l’Union cycliste internationale mette les bouchées doubles sur ce dossier”, reconnaît le nouveau grand ordonnateur du cyclisme mondial, David Lappartient. Président de l’UCI depuis l’automne, le Breton a notamment fait campagne sur la question de la fraude mécanique, un des (nombreux) dossiers dans lesquels son prédécesseur Brian Cookson n’a pas répondu aux attentes. “Le doute commençait à exister, beaucoup de commentaires étaient faits, des vidéos sur les réseaux sociaux…”, nous explique encore Lappartient. “Mon objectif est de tordre le cou à tout ça et montrer que l’UCI fait finalement son job qui est de garantir la crédibilité du résultat sportif.”
À son arrivée, il a donc écarté celui qui gérait ce dossier jusqu’alors, pour installer un homme à la double casquette d’ingénieur et d’ancien coureur, Jean-Christophe Péraud. Le jeune retraité des pelotons a buché ses dossiers et voilà l’UCI prête à annoncer mercredi ses nouvelles orientations pour lutter contre la triche mécanique : renforcer les moyens techniques déployés contre les fraudeurs (“des technologies infaillibles mais aussi montrables”, selon Lappartient) et d’intervenir auprès des autorités étatiques pour s’assurer la pénalisation de ces escroqueries.
Cancellara et les fantômes du passé
Pour David Lappartient, il s’agit ainsi de “démontrer par A+B qu’il n’y a pas de fraude technologique ou que ce que nous mettons en place est suffisamment dissuasif pour qu’il n’y en ait pas”. Cela participera à atténuer le doute sur les épreuves à venir. Mais quid des soupçons qui pèsent déjà sur les épreuves passées ? Rien n’est engagé mais des enquêtes pourront être ouvertes si “des indications, des éléments de preuve ou des faits nouveaux qui devaient nous être apportés”, explique le président de l’UCI. Mais là où l’ADN et les prélèvements sanguins ou urinaires sont conservés, personne ne retrouvera le vélo dont un tricheur se sera débarassé.
Pendant ce temps, le doute prospère, les accusations fleurissent. Au détour de son autobiographie de coureur, Phil Gaimon allume Cancellara : “Cet enculé avait probablement un moteur”*. Ces dernières semaines, on m’a évidemment parlé du Suisse beaucoup trop fort dans le mur de Grammont, d’un Américain qui produisait trop de watts pour que ce soit vrai (même en prenant en compte son dopage à l’arme lourde), d’un autre vainqueur de l’Alpe d’Huez à l’époque moderne, de différents espagnols encombrés par leur matériel, de Britanniques qui avaient les moyens… Les fils sont emmêlés, le doute bien présent. C’est du cyclisme, on l’aimera encore demain. Mais on le préférerait mieux protégé.
*Cancellara a demandé le retrait de “Draft Animals – Living the Pro Cycling Dream (Once in a while)”, distribué par les éditions Penguin Books. En même temps qu’il avance ses soupçons sur le matériel de Cancellara, Gaimon se dit aussi “assez sûr” que le triple vainqueur du Tour des Flandres se cache derrière le nom de code “Luigi” dans l’Opération Puerto. Les deux accusations ont régulièrement ressurgi contre le Suisse au fil de sa carrière jalonnée de succès.