
Conçue comme une alternative au géant américain, cette nouvelle plateforme aux 40.000 utilisateurs, dont le Premier ministre Viktor Orbán, prône une liberté d’expression quasi illimitée.
Le 6 décembre, jour de la Saint-Nicolas, un curieux réseau social ressemblant à une pâle copie de Facebook arrivait sur la toile magyare. À première vue, Hundub pompe éhontément la plateforme de Zuckerberg. Chaque abonné peut rechercher ses amis d’antan, partager des photos, poster des vidéos et échanger via une messagerie instantanée rappelant furieusement l’outil Messenger. Oui, mais voilà, sur Hundub, alternative au géant américain, certifiée «hongroise» et «sans censure», un système de points-cadeaux récompense les utilisateurs assidus au gré des likes, des réactions et des publications.
Après tirage au sort effectué une fois par mois sous contrôle d’un huissier de justice, vous remporterez peut-être un smartphone Samsung ou un iPhone (20.000-40.000 points), un voyage pour deux à l’étranger (80.000-100.000) ou un tour du monde sur un bateau de luxe au-delà de 100.000 unités accumulées. Autre spécificité: un émoji «Big Brother interdirait sûrement» taillé pour les complotistes avertis. «Personne ne sera bloqué ou supprimé en raison de ses opinions politiques. Nous ne chercherons pas à créer de tendances ni à influencer personne en quoi que ce soit», clame Csaba Pál, le père de Hundub.
Près de 40.000 personnes se seraient inscrites, dont le Premier ministre Viktor Orbán himself, possédant sa propre page officielle. Certains détracteurs de Hundub voient derrière ce lancement une manœuvre du gouvernement, pourfendeur du politiquement correct, en vue des élections législatives de 2022. «Nous ne sommes soutenus ni par Orbán, ni par Soros, [le milliardaire américano-magyar devenu bête noire de Budapest, ndlr], rétorquent ses fondateurs. «Nous sommes des civils hongrois qui ne voulons pas devenir des célébrités mais faisons tout pour qu’un réseau social hongrois puisse exister.»
Guy Fawkes > Bill Gates
Si vous manquez d’inspiration pour choisir une photo de profil, pas de panique, Hundub vous adjoint automatiquement un masque stylisé de Guy Fawkes, icône des Anonymous et des conspirationnistes. D’emblée, le réseau vous conseille de suivre les pages de Vilaghelyzete.com et Alternativhirek.com, sites de réinformation ascendant fake news. Sur le fil d’Alternativ Hírek, on découvre, ô surprise, des articles accusant les laboratoires développant des vaccins anti-Covid d’être les pantins de Bill Gates ou considérant la dernière élection US comme la «plus grande fraude électorale de l’histoire mondiale».
Défenseur d’une liberté d’expression et d’opinion sans filtre, Hundub se couvre avec des conditions d’utilisation assez succinctes et étrangement formulées qui proscrivent les symboles renvoyant à des dictatures et les incitations à commettre des crimes ou délits, tout en enjoignant ses membres à éviter la diffusion de contenus violents et la «propagation des activités sexuelles». Zéro obstacle concernant les images dénudées, du moment que les clichés sont relayés sur Hundub avec une visée artistique. Zéro indication sur quelle personne ou quel service veille au respect du règlement et de quelle façon.
«Le problème de Hundub, ce n’est en rien le fait qu’il soit hongrois. Le souci, c’est qu’il insulte, avec son amateurisme et sa simplicité, la notion de “produit hongrois” dans ce pays où nous avions un réseau social créatif et moderne nommé iWiW avant même que Mark Zuckerberg ne rentre à l’université, déplore une plume de l’hebdomadaire HVG. Quand on sait qu’à peu près tous les internautes hongrois sont actifs sur Facebook, on ne peut décemment pas prendre au sérieux un service similaire mais en pire. D’autant plus que le cadre financier de Hundub est tout aussi obscur que ses intentions.»
Cyberattaque et Grande Hongrie
Si les observateurs magyars ignorent le but réel de Hundub, ils savent néanmoins qu’une firme offshore enregistrée au Bélize, paradis fiscal caribéen renommé, figure parmi les propriétaires du site supervisé depuis Debrecen, deuxième ville de Hongrie. Des mystérieux investisseurs étrangers ont également épaulé le projet. Fin décembre, trois semaines après son baptême du feu, Hundub subissait une importante cyberattaque interrogeant sur sa sécurité jugée laxiste selon plusieurs spécialistes. Les hackers ont tenté de mettre le FB low-cost au tapis en organisant 59 millions d’inscriptions par heure.
Comme le regretté IwiW en son temps, Hundub ambitionne de rassembler les magyarophones de Hongrie et des ex-territoires magyars séparés de la «mère-patrie» par le Traité de Trianon (juin 1920). Pas sûr que la mayonnaise prenne dans le Burgenland autrichien, dans le Prekmurje slovène, en Transcarpatie ukrainienne, en Voïvodine serbe, dans le nord de la Croatie ou en Transylvanie roumaine. Et ce, même si Budapest bichonne les minorités magyares d’outre-frontières avec des aides à foison, des naturalisations facilitées ainsi qu’un accès au droit de vote histoire de se les mettre dans la poche.
«Il existe une rationalité derrière le lancement d’une nouvelle plateforme de ce type mais il faudra énormément de travail et un vrai plus pour la rentabiliser à l’ombre des grands. Il est encore tôt pour évaluer cette initiative mais on peut déjà constater que Hundub ne représente guère un défi pour Facebook malgré le désamour des jeunes, analyse l’experte en réseaux sociaux, Orsolya Homolya, auprès de Blikk. Je ne connais pas les intentions exactes des fondateurs, mais il semble qu’ils comptent sur une catégorie bien délimitée au regard de la coloration politique de Hundub.»
Atteindre les partisans
Clairement, le cœur de cible de Hundub penche plutôt vers l’extrême droite et les nationaux-populistes orphelins de Donald Trump, à l’image de Viktor Orbán qui espérait la réélection de son allié américain. L’un des groupes Hundub les plus fournis n’est autre que celui des fidèles de Vadhajtások, site de militants ultranationalistes, antimigrants, pro-Trump et anti-«propagande LGBT» réunissant plus de 4.500 membres sur leur nouvelle agora favorite. Plus proche du Fidesz, le parti du Premier ministre, un certain «Borsodi» appelle à «l’union nationale» contre «l’alliance des raclures» de l’opposition se préparant au scrutin de 2022.
Dans l’opposition, justement, le député indépendant Ákos Hadházy considère que «l’argent sale du clan Orbán» alimente Hundub et craint que l’exécutif, cultivant une proximité avec Vladimir Poutine, ne suive le modèle russe en fermant Facebook. Si Hundub ne menace en rien la suprématie de la création de Zuckerberg, la plateforme pourrait néanmoins servir de nouveau canal afin d’atteindre les partisans orbánistes et collecter leurs données, indubitablement précieuses en période de campagne.
Le 14 décembre, la ministre de la Justice, Judit Varga, accusait Facebook d’avoir rendu sa page moins visible après un commentaire soulignant le poids déterminant que jouera le mastodonte californien dans les législatives de 2022 en Hongrie. Entre Noël et le Nouvel An, le président de l’Assemblée nationale, László Kővér, estimait que «des forces considérables vont se mettre en branle à Bruxelles et aux États-Unis afin d’influencer et de manipuler le résultat des élections». Cela n’a pourtant pas empêché le parti Fidesz au pouvoir d’ouvrir récemment un compte Instagram, propriété de Facebook…
Hundub, de son côté, espère un million d’utilisateurs d’ici la fin 2021. «Bien que l’idée d’un réseau social fonctionnant comme une alternative de Facebook n’a absolument rien de diabolique, Hundub n’est, dans sa forme actuelle, qu’un clone ridicule souhaitant recruter des utilisateurs en agitant l’étendard de la liberté d’expression. Et, outre, la carte blanche donnée à la “liberté d’expression”, Hundub risque de devenir un terrain privilégié pour les fausses informations et les tromperies avec l’appui de ses administrateurs», assène un journaliste du portail 24.hu. C’est le moins qu’on puisse dire.
Compilé par le personnel du Conseil du PECO