L’ancien patron controversé d’Uber, Travis Kalanick, est apparu mardi à plusieurs reprises tendu et vague en témoignant au procès qui oppose son ancienne entreprise à Waymo, filiale d’Alphabet/Google, pour vol de technologies dans les voitures autonomes et réclame quelque deux milliards de dollars.

L'ancien patron controversé d'Uber, Travis Kalanick, mardi 6 février sortant de la Cours de justice fédérale de San Francisco.

“Guerre”, “triche”, “complot”… les hostilités ont démarré fort lundi dans le procès opposant Uber à Waymo, filiale de Google qui le poursuit pour vol de technologies dans les voitures autonomes, vues comme le Graal des transports.

Waymo accuse l’un de ses anciens ingénieurs, Anthony Levandowski, d’avoir volé fin 2015 des milliers de documents confidentiels portant sur un système de lasers, technologie clé dans la conduite autonome, avant de fonder sa propre startup, Otto, rachetée ensuite par Uber en 2016.

Monsieur Kalanick a “décidé d’investir énormément dans la conduite autonome” et, en 2015, “a décidé que gagner était plus important que la loi (…) quoiqu’il en coûte”, a déclaré Charles Verhoeven, l’un des avocats de Waymo qui réclame entre un et deux milliards de dollars à Uber, devant un tribunal fédéral de San Francisco (Californie, ouest des États-Unis).

“Il a pris la décision et cette décision était de tricher”, a-t-il insisté, extraits d’emails et de SMS à l’appui. Selon lui, Uber s’est rendu compte qu’il était “incapable de rattraper” son retard dans la conduite autonome alors que Waymo a commencé à travailler dans la conduite autonome en 2009.

“Nous croyons en la concurrence loyale” et “une partie de nos technologies nous a été enlevée”, a témoigné John Krafcik, le patron de Waymo.

Un témoignage très vague pour Travis Kalanick

La filiale de Google assure qu’Uber avait tout manigancé et racheté Otto en sachant que Monsieur Levandowski aurait dans ses valises des secrets technologiques volés à Google. Travis Kalanick, dont l’apparition était très attendue, est souvent resté vague quant au calendrier et au contenu des rencontres avec l’ingénieur, répondant souvent par monosyllabes au feu roulant des questions de l’avocat de Waymo, Charles Verhoeven.

“Je l’ai vu toute fin 2015 ou tout début 2016”, a affirmé l’ancien Pdg d’Uber.

Me Verhoeven a alors présenté devant la cour la copie d’un badge visiteur d’Anthony Levandowski datant du 20 décembre 2015, où l’on peut lire qu’il a rendez-vous avec M. Kalanick.

“C’est très possible (…) je ne me souviens pas du rendez-vous. Je ne me souviens plus de ce dont nous avons discuté”, a répondu l’ancien dirigeant.

Mais de façon générale, “il était vraiment inflexible quant à l’idée de créer son entreprise et nous étions inflexibles quant à l’idée de l’embaucher”, a expliqué Kalanick. “Nous avons créé une situation où il avait l’impression d’avoir monté son entreprise et moi de l’avoir embauché”, selon lui.

Montrant la photo d’un tableau blanc portant l’écriture de Travis Kalanick, Me Verhoeven a demandé à celui-ci de préciser ce que voulait dire ces mots manuscrits écrits pendant une réunion chez Uber :

“lasers, données et conseil, ce sont les trois choses”.

“Est-ce que cela veut dire que c’était les choses qu’Uber voulait avec Anthony Levandowski?”, a demandé l’avocat.

“Je ne suis pas sûr”, a répondu Travis Kalanick.

Uber tente depuis plusieurs mois de se défaire d’une réputation largement écornée par les scandales des années Kalanick. Connu pour son tempérament impétueux et ses méthodes peu orthodoxes, la co-fondateur d’Uber a été poussé à la démission en juin 2017.

Enjeux et inquiétudes

L’enjeu est énorme pour les deux entreprises, car la voiture autonome est considérée comme l’avenir des transports. Comme beaucoup d’autres, elles investissent énormément dans ces technologies et pour s’assurer les services des meilleurs ingénieurs de la Silicon Valley.

Pendant près de six heures lundi, les deux groupes se sont accusés mutuellement d’avoir voulu nuire à l’autre, vu comme une menace dans la course effrénée à la voiture sans conducteur.

La filiale de Google assure qu’Uber avait tout manigancé en amont pour mettre la main sur ces technologies “vitales” pour la société de location de voitures avec chauffeur (VTC), qui souhaitait gagner “la guerre” de la conduite autonome, selon des termes belliqueux de Travis Kalanick rapportés par un autre ex-dirigeant d’Uber et cités par l’avocat.

Au point d’avoir envisagé à l’époque “d’indemniser” des employés arrivés chez Uber en cas de poursuites “de leurs anciens employeurs”, toujours selon Me Verhoeven.

“Il n’y a pas de complot ici”, cela “n’a aucun sens”, a balayé Bill Carmody, qui défend Uber et affirme que ces “soi-disant secrets commerciaux” n’en étaient pas.

Citant un email interne à Google, ces documents avaient “si peu de valeur” qu’il avait été envisagé de les retirer de l’infrastructure informatique de Google, a-t-il dit.

Selon lui, Google était “très inquiet” de la concurrence d’Uber depuis longtemps, inquiétudes renouvelées lors du rachat d’Otto en 2016 et après le départ de plusieurs ingénieurs du projet de voiture autonome du géant d’internet.

Et quand Monsieur Levandowski a quitté à son tour Google, l’un des dirigeants du groupe, “Larry [Page, a] craint qu’il ne se lance dans quelque chose qui fasse concurrence”, a ajouté le conseil, citant un email interne au géant technologique.

Google avait même “songé à empêcher le rachat” d’Otto et, ce, alors que Google “n’avait pas la moindre idée qu’Anthony Levandowski avait téléchargé le moindre fichier”, a aussi affirmé Me Carmody.

Waymo, qui est une filiale d’Alphabet, maison mère de Google, va devoir prouver pendant les débats qu’il s’agissait bien de secrets commerciaux, qu’Uber les a récupérés indument, les a utilisés et en a tiré profit.